La recherche du bien-être, voire du « bonheur », sont des critères qui servent de plus en plus de vitrine à certaines sociétés, afin d’attirer de nouveaux talents. Il en existe cependant pour lesquelles il ne s’agit pas d’un simple effet de mode, mais d’une réelle volonté d’avoir l’humain au cœur de l’entreprise.

Rencontre avec Sophie Magnillat, des Laboratoires Boiron.

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La recherche du bien-être, voire du « bonheur », sont des critères qui servent de plus en plus de vitrine à certaines sociétés, afin d’attirer de nouveaux talents. Il en existe cependant pour lesquelles il ne s’agit pas d’un simple effet de mode, mais d’une réelle volonté d’avoir l’humain au cœur de l’entreprise. Quel est votre poste au sein des Laboratoires Boiron ? En quoi consistent concrètement vos missions dans l’entreprise ?Les Laboratoires Boiron sont l’une des entreprises pionnières en France de la recherche du bien-être au travail. Quand et de quelle manière ce poste de maîtresse de maison a-t-il été créé ?Donc contrairement à ce que l’on pense, ce ne sont pas Google et Chade-Meng Tan (employé sous l’intitulé de Jolly Good Fellow, soit de « bon camarade ») qui ont initié ce mouvement en 1999 ?Quelle est la différence entre votre poste de maîtresse de maison et un Chief Happiness Officer ? Est-ce que les fonctions sont identiques ? Est-ce seulement la terminologie qui dérange, comme si l’entreprise pouvait s’arroger le bonheur de ses employés ?Que pensez-vous de ce terme de Chief Happiness Officer ? Ne vaudrait-il pas mieux nommer ce poste selon l’appellation choisie par Boiron, de maîtresse ou maître de maison, ou celle utilisée par d’autres sociétés de Feel-good manager (manager du bien-être) ?Pour quelle(s) raison(s) avoir créé, puis développé, ce type de métier ?Comment avez-vous eu l’idée de vous diriger vers ce métier ? Était-ce une question d’opportunité ou une réelle envie de changer la vie en entreprise ?Quelles sont les conditions ou la formation nécessaire pour devenir manager du bien-être en entreprise ?Est-ce que tous les établissements sont potentiellement susceptibles d’accueillir un « responsable du bien-être » au sein de leurs employés ? Ou ce genre d’emploi est-il réservé à certains types d’entreprise ? Quel conseil pouvez-vous donner à une petite entreprise qui a à cœur le bien-être de ses employés ?

 

Quel est votre poste au sein des Laboratoires Boiron ?

Je suis maîtresse de maison. Ma mission principale est de faire en sorte que chaque jour l’entreprise soit plus humaine, plus agréable et donc plus efficace. Il est important de créer un environnement dans lequel le salarié se sent bien. De rendre le cadre de vie et de travail plaisants.

A Messimy (NDLR : le site le plus important des Laboratoires Boiron, réparti sur 35 hectares), on évolue au milieu de 800 employés. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous sommes des personnes aux parcours divers, travaillant à des postes différents. Mon rôle est de faire en sorte que nous puissions tous vivre ensemble sur un site qui s’apparente à un village avec ses routes, son restaurant, ses espaces communs, en travaillant aussi bien sur l’humain que sur l’aménagement du site.

Heureusement, je suis épaulée par une belle équipe, et nous ne sommes pas moins dix-sept personnes à accomplir ces tâches. En effet, je suis responsable des hôtesses d’accueil/standardistes, ainsi que du service « convivialité » ayant pour mission d’aménager les espaces communs, de préparer dans les salles de réunion tout le matériel nécessaire pour que les salariés et leurs invités aient dès leur arrivée du café, des fruits secs, des fruits frais, et surtout que tout fonctionne pour ne pas perdre de temps. En collaboration avec les assistantes de service, mes collaboratrices assurent aussi tout le support logistique lors de l’organisation de séminaires : location d’équipements, mise en place spécifique de la salle de réunion, réservation du traiteur, entre autres. J’anime également l’équipe du restaurant d’entreprise qui prépare et cuisine les plats servis pour le déjeuner.

Chaque service a son assistante, son directeur, et des salariés composant le service. Mon équipe et moi avons pour vocation de lier, de faciliter la communication et les échanges entre les différents services et d’être les référents du fonctionnement sur site : des « facilitatrices ».

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Vue aérienne du site de Messimy – © Boiron

 

En quoi consistent concrètement vos missions dans l’entreprise ?

On conçoit des événements qui permettent aux salariés de se rencontrer et de créer du lien dans une atmosphère chaleureuse, un cadre propice aux échanges, pour se découvrir autrement. On peut aussi bien faire en sorte que les gens passent un agréable moment pendant la pause déjeuner, que créer une galette des rois géante avec les vœux de la direction générale. Nous avons aussi organisé une fête de la musique avec un groupe 100% Boiron qui a pu se produire pour le plus grand plaisir des employés.

Nous sommes aussi très à l’écoute des salariés et de leurs problèmes. Même s’il ne s’agit que de « petits cailloux dans la chaussure » qui nous gênent sans nous empêcher de marcher, c’est notre rôle de leur faciliter la vie quand on le peut. Par exemple, une salariée est venue un jour m’informer que son arrêt de bus était à un kilomètre du site de Messimy. Ce périmètre est hors direction, mais il s’agit d’un problème de site et d’accès. On a donc contacté la compagnie de bus pour s’informer de ce qu’il était possible de faire et désormais, un arrêt se trouve à l’entrée de site. Si nous pouvons faire en sorte que l’arrivée soit plus agréable, sans rallonger le trajet des salariés, cela leur permet d’être plus épanouis quand ils commencent la journée, et donc plus performants.

En tant que fabricant de médicaments, notre site est soumis à une certification douanière AEO, ce qui nous amène à être vigilants sur les questions de sûreté. Notre objectif est de faire en sorte que tout le monde se sente « comme à la maison », même lors des contrôles d’identité exigés à l’entrée sur site. Avec mon équipe, nous devons faire en sorte d’effectuer ce contrôle sans perturber le salarié ou l’invité, ni rallonger le délai d’accès au site. Pour cela, je travaille en étroite collaboration avec Cécile, notre responsable HSES (Hygiène, Sécurité, Environnement, Sûreté).

 

Les Laboratoires Boiron sont l’une des entreprises pionnières en France de la recherche du bien-être au travail. Quand et de quelle manière ce poste de maîtresse de maison a-t-il été créé ?

Dès son arrivée dans les années 70, Christian Boiron est à l’origine d’une politique sociale extrêmement novatrice pour l’époque : il a souhaité intégrer l’humain au cœur du projet d’entreprise et à tous les niveaux de l’entreprise, démarquant ainsi les Laboratoires Boiron des autres sociétés.

Par exemple, en signant des accords d’entreprise toujours en vigueur aujourd’hui, comme les accords de pré-retraite permettant aux salariés de diminuer progressivement leur temps de travail, pour les quatre années précédant la retraite. Le salarié peut ainsi s’impliquer doucement dans d’autres activités, afin que la retraite ne signe pas une rupture brutale, mais soit vécue par une douce transition.

La clé, c’est un management bienveillant. Dans cet esprit, M. Boiron crée le poste de maîtresse de maison en 1983, et cela illustre l’une des expressions de sa philosophie sociale.

 

Donc contrairement à ce que l’on pense, ce ne sont pas Google et Chade-Meng Tan (employé sous l’intitulé de Jolly Good Fellow, soit de « bon camarade ») qui ont initié ce mouvement en 1999 ?

Est-ce que Boiron fut la première entreprise ? Je ne sais que répondre. Mais en tout cas, cela fait plus de trente ans que le poste de maîtresse de maison existe et plus largement, quarante ans qu’une politique sociale a été instaurée dans l’entreprise. Tout cela est l’œuvre d’un homme qui porte l’entreprise avec cœur, Christian Boiron.

Dès le début, il était convaincu que c’était le social qui faisait l’économique et non l’inverse. A l’époque lorsqu’il a avancé son hypothèse, les personnes ne le croyaient pas. Pour elles, l’entreprise devait être rentable pour ensuite pouvoir redistribuer de l’argent aux salariés. M. Boiron prouve que l’épanouissement du salarié ne vient pas tant de la rémunération (le social-avoir) que de la considération et du respect (le social-être). Le bien-être et le bonheur sont les clés de la performance économique.

 

Quelle est la différence entre votre poste de maîtresse de maison et un Chief Happiness Officer ? Est-ce que les fonctions sont identiques ? Est-ce seulement la terminologie qui dérange, comme si l’entreprise pouvait s’arroger le bonheur de ses employés ?

Chaque entreprise est différente, avec un environnement, des missions et des codes qui lui sont propres. Je pense qu’on ne peut pas transposer à l’identique un poste simplement pour suivre la tendance ou pour reproduire une réussite, comme c’est le cas pour les Chief Happiness Officers. Chez Boiron, nous avons le recul nécessaire pour dire que le rôle de maîtresse de maison fonctionne. Mais après, créer un poste de Chief Happiness Officer dans une entreprise qui a une politique sociale qui ne considère pas l’humain, cela n’est pas viable.

Certaines sociétés ont à cœur l’humain mais n’ont pas ce genre de poste dédié, et pourtant elles investissent dans leur politique sociale et des actions similaires. Il ne faut pas créer un poste parce que c’est la tendance, en se disant « nos salariés seront épanouis », donc l’entreprise sera performante. Ce n’est pas si simple que cela. D’ailleurs, il s’agit davantage d’une question de personne qu’une question de poste.

C’est d’ailleurs ma chance dans l’entreprise : je fais mon poste, j’ai la liberté de mettre en place des actions et ma vision personnelle de l’action que j’ai à mener, tandis que la personne qui me précédait comme maîtresse de maison avait axé ses démarches sur d’autres points. Je joue un rôle de facilitateur transversal dans l’entreprise, comme une courroie de transmission d’informations entre les différents services, mais aussi avec la direction générale. L’objectif est de créer un état d’esprit, un bien-être.

 

Que pensez-vous de ce terme de Chief Happiness Officer ? Ne vaudrait-il pas mieux nommer ce poste selon l’appellation choisie par Boiron, de maîtresse ou maître de maison, ou celle utilisée par d’autres sociétés de Feel-good manager (manager du bien-être) ?

Tout dépend du rôle que l’on donne à cette personne, ainsi que de l’histoire de l’entreprise, de sa culture, de ses valeurs. Il faut que cela soit intuitif et découle de l’histoire de l’entreprise, et non pas un simple effet de mode.

Dans certaines entreprises, on appelle aussi ce genre de poste « responsable de la transformation ». Mais peu importe le titre, le principal est d’agir pour que le salarié se sente bien dans son environnement de travail, en adéquation avec une politique sociale portée par un projet d’entreprise.

 

Pour quelle(s) raison(s) avoir créé, puis développé, ce type de métier ?

Chez Boiron, c’était la suite logique du déploiement de la vision de Christian Boiron par rapport à sa politique sociale. Pour la petite histoire, M. Boiron a eu l’idée de ce poste alors qu’il était en vacances au Club Med, il y a près de quarante ans. La maîtresse de maison du Club Med était là pour créer du lien entre les vacanciers qui arrivaient, ne se parlaient pas, ne participaient pas forcément aux activités. Son rôle était de les faire évoluer dans un environnement de détente et de leur faire passer un agréable moment. Par exemple, aucune signalétique n’indiquait le restaurant ou la piscine. Et cela était pensé pour que les gens se parlent et échangent.

M. Boiron a pensé qu’un tel poste trouverait sa place dans l’entreprise. Bien entendu, il ne l’a pas reproduit tel quel, parce que les besoins et les enjeux diffèrent. Mais une personne qui fait le lien, qui prend soin des salariés, des locaux, et qui est à l’écoute des différentes problématiques externes à un service, c’est extrêmement intéressant et utile dans une entreprise.

Avec le recul que nous avons chez Boiron, on sait qu’un salarié épanoui est performant. Et cette conclusion est même validée par certaines études scientifiques. Mais il y a quarante de cela, lorsque Christian Boiron prenait cette décision, même au sein du club des jeunes entrepreneurs dont il était membre, on ne le prenait pas au sérieux. On lui disait que ce n’était pas de cette façon que l’on dirigeait une entreprise. Il a alors voulu démontrer que sa vision du bonheur pouvait être un socle sur lequel baser la politique de gestion d’une entreprise.

 

Comment avez-vous eu l’idée de vous diriger vers ce métier ? Était-ce une question d’opportunité ou une réelle envie de changer la vie en entreprise ?

Je n’avais jamais entendu parler de ce type de métier dans le monde de l’entreprise. Je suis à ce poste depuis deux ans maintenant, lorsque la mode n’avait pas encore popularisé ce type de métier. Pour moi, cela a été une question de rencontre et de timing, ce que certains appellent le destin.

Auparavant, j’ai travaillé dans d’autres entreprises qui traitaient les hommes et les femmes comme des numéros. Ce genre d’expériences m’a plusieurs fois choquée, question de valeurs et d’éducation.

Après avoir acquis un profil généraliste après mes études au Canada et aux États-Unis, plutôt que de me concentrer sur un poste, j’ai cherché une entreprise dont les valeurs semblaient correspondre aux miennes, et j’ai trouvé les Laboratoires Boiron. J’ai donc envoyé une candidature spontanée pour de la logistique.

Dès le premier entretien où étaient présents un directeur logistique et un RH, on a cherché à savoir qui j’étais. C’était la première fois qu’on me posait la question dans le cadre professionnel, ce qui semblait de bon augure. Par la suite, j’ai eu la chance de rencontrer la direction générale, avant d’avoir un entretien avec Christian Boiron. J’ai rencontré un patron réellement bienveillant qui m’a dit : « Vous aimez relever des défis, cela se voit. Êtes-vous prête à me suivre pour faire en sorte que l’entreprise soit plus agréable, plus humaine et donc plus performante ? ». Évidemment, j’ai répondu oui avant même d’avoir d’autres informations. Le poste était vacant et nous l’avons redéfini ensemble. C’est vraiment pour cette raison que c’est la personne qui fait le poste, et non l’inverse.

 

Quelles sont les conditions ou la formation nécessaire pour devenir manager du bien-être en entreprise ?

Je sors d’une grande école de commerce avec un master en finance et en logistique. Mais de mon point de vue, c’est plus une question de personnalité que de formation. Il s’agit de qualités humaines que l’on porte en soi.

Ce type de poste peut aussi bien convenir à une personne qui sort d’une école de commerce, qu’un psychologue. La précédente maîtresse de maison qui a officié dans l’entreprise pendant plus d’une vingtaine d’années, était auparavant commerçante. Pour elle aussi, une rencontre avec Christian Boiron a été déterminante.

 

Est-ce que tous les établissements sont potentiellement susceptibles d’accueillir un « responsable du bien-être » au sein de leurs employés ? Ou ce genre d’emploi est-il réservé à certains types d’entreprise ?

Ce n’est pas une question de type d’entreprise mais de politique sociale. Il ne faut pas créer un poste pour suivre la tendance. Mais que ce soit le reflet global d’une volonté d’améliorer l’environnement de travail du salarié. Et que ce projet global soit porté par la direction générale.

 

Quel conseil pouvez-vous donner à une petite entreprise qui a à cœur le bien-être de ses employés ?

Toute entreprise a intérêt à investir dans sa politique sociale. Les ressources humaines sont ce qu’il y a de plus précieux. En considérant et en mettant tout en œuvre pour que les salariés se sentent bien et s’épanouissent, l’entreprise s’en trouve davantage performante.

Même à l’échelle d’une petite entreprise, certaines actions peuvent facilement être menées. La clef de voûte repose sur la spontanéité, l’écoute, la considération et le respect. Manager des personnes avec bienveillance favorise le bien-être en entreprise, pour un coût de fonctionnement identique. La communication est très importante, entre les personnes et les services. Il faut savoir dire non lorsque cela est nécessaire, ainsi que toujours donner du sens. Cela permet d’évoluer sans quiproquos ou non-dits qui peuvent être préjudiciables à l’environnement et à la relation de travail. Et bien sûr, savoir se montrer disponible.

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