La Suisse reconnaît aux homards une sensibilité et vient de promulguer une loi visant à ce que désormais, ils ne souffrent plus avant d’être ébouillantés.

La Suisse légifère sur le sort du homard

Au 1er mars 2018, une nouvelle loi entrera en vigueur en Suisse : les homards devront obligatoirement être étourdis (ou mis à mort) avant d’être ébouillantés. Pour le gouvernement helvète, ne sera plus autorisée « la pratique consistant à plonger les homards vivants dans l’eau bouillante, commune dans les restaurants ».

Maya Graf, élue écologiste auteure de cette ordonnance, précise que les homards « souffrent le martyre, car ces crustacés solitaires disposent d’un système nerveux complexe et sont sensibles à la douleur ».

Pour ceux qui ne le savent pas, on jette le homard vivant dans l’eau bouillante. En moyenne, les associations de défense des animaux estiment qu’un homard agonise deux minutes dans l’eau bouillante avant de mourir. Les zoologistes marins comptent entre 35 et 45 secondes (le temps pour l’eau bouillante de traverser sa carapace, puis son corps, avant d’atteindre les centres nerveux). Et encore, ce n’est rien par rapport à ceux cuisinés à la vapeur…

L’ordonnance suisse précise aussi qu’on devra maintenir les crustacés le plus longtemps possible dans leur « environnement naturel ». Cela met ainsi fin au transport sur un lit de glace ou d’eau glacée.

Mais peut-on réellement affirmer que le homard souffre ?

Les détracteurs de la nouvelle loi suisse arguent que les défenseurs des droits des animaux font de l’anthropomorphisme en attribuant des émotions humaines à un invertébré.

Une étude menée par l’Ecole norvégienne de science vétérinaire à Oslo[A] a conclu que le homard pouvait réagir aux stimuli douloureux, sans pour autant démontrer que le homard éprouvait de la souffrance. Il s’agit d’un animal invertébré incapable de saisir la dimension psychologique de la douleur. Sans compter que l’Ecole estime la taille de leur « cerveau » trop petite pour transmettre les signaux liés à la souffrance.

Il est vrai qu’on ne compte que 100 000 neurones chez le homard, contrairement à l’homme qui en a plus de 100 milliards. C’est un fait. Mais ce n’est pas parce que le homard n’est pas capable d’analyser son ressenti et de « mettre un nom dessus », qu’il ne souffre pas.

Le professeur Robert Elwood de l’Université du Queens (à Belfast) a étudié le comportement de certains invertébrés[B] (crabes, crevettes, homards) face à des stimuli douloureux. Il a imprégné les antennes de crevettes d’une solution d’acide acétique, que les animaux ont essayé de frotter, jusqu’à ce que le scientifique leur applique un anesthésiant local. Un crabe, subissant un choc électrique, va frotter la zone soumise au stimulus pendant un long moment, de même en cas de blessure. Toutes ces données sont autant de preuves pour l’éthologiste que les invertébrés sont sensibles à la douleur.

 

Consider the lobster !

En 2004, l’écrivain et journaliste américain David Foster Wallace[C] se posait lui aussi la question en marge du Lobster Maine Festival et de ses milliers de homards cuisinés, dans un essai intitulé Consider the lobster (Considérez le homard). Sa réponse est, entre autres, le fruit d’une démarche pragmatique. « Même si vous couvrez la marmite et que vous vous en détournez, vous pouvez habituellement entendre les cognements et claquements du homard contre les parois. Ou les pinces de la créature raclant les côtés de la marmite pendant qu’elle se débat. Le homard, en d’autres termes, se comporte comme beaucoup d’entre vous, ou même moi, nous comporterions si nous étions plongés dans l’eau bouillante (à l’exception évidente de crier). Une façon plus directe de dire ceci est que le homard agit comme s’il souffrait terriblement, obligeant certains cuisiniers à quitter complètement la cuisine et à emmener avec eux ces minuscules minuteries en plastique dans une autre pièce jusqu’à ce que tout le processus soit fini ».

Le journaliste insiste aussi sur un point : les homards sont dotés de nocicepteurs, de molécules apparentes des prostaglandines, ainsi que des neurotransmetteurs similaires à ceux permettant de transmettre la douleur chez les vertébrés.

Quelles sont les alternatives à l’ébouillantage ?

Cependant, certains chefs transpercent toujours les homards dans la tête avant de les cuisiner. Seulement, un homard n’a pas le même cerveau qu’un humain ou un chien. Il a trois centres nerveux répartis dans le corps. Autrement dit, en passant une lame derrière sa tête, deux centres restent toujours en activité.

Fabien Loup, vétérinaire à l’Office fédéral suisse de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires, reconnait deux méthodes pour éviter la souffrance du homard. Par incision au couteau dans la région thoracique car « il y a là un point stratégique qui provoque un endormissement immédiat ». Ou par électrocution rapide.

Savez-vous que… ? On a pêché un homard bleu roi pêché au large de la France en avril 2017. Le restaurateur a trouvé dommage de cuisiner ce spécimen dont une mutation génétique favorise la production d’un pigment bleu (la crustacyanine). Cette « anomalie » touche un individu sur deux millions. Le crustacé coule désormais des jours heureux (et sans danger !) dans l’Aquarium Océanopolis de Brest.

On a trouvé un de ses congénères bleutés, début août de la même année, dans la baie de Saint-Lunaire (Bretagne). Prénommé Neymar, il a rejoint son milieu naturel quinze jours plus tard.

Et si ce n’est pour une question de respect de l’animal, certains cuisiniers ont remarqué que la chair était plus dure lorsque l’animal était jeté directement dans l’eau bouillante avant d’être tué.

Et en France ?

Aucune loi n’existe sur les conditions de vente ou de mise à mort des crustacés. Fin août 2017, l’association Peta France dénonçait la condition réservée aux homards dans les supermarchés Monoprix. Et ceci, afin que cesse la vente des homards vivants (et leurs mauvaises conditions de détention). Cette dernière a refusé, malgré la sollicitation de plus de 30 000 défenseurs des droits des animaux. Car, rappelons-le, en plus de respecter la loi en vigueur, l’enseigne n’est pas la seule chaîne à proposer la vente de homards, vivants ou morts.

La solution pourrait-elle consister à apporter des modifications à la législation française en adoptant un texte semblable à celui du Parlement suisse ? Ainsi peut-être que les militants des animaux et adeptes des crustacés trouveraient-ils un terrain d’entente ?

Savez-vous que… ? En France, il existe une loi qui reconnait les animaux comme des « êtres sensibles » et considère à ce titre que « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » (article L214-1 du Code rural).

Notes :

[A] Lauritz S. Sømme. Sentience and pain in invertebrates. Report to Norwegian Scientific Committee for Food Safety. Norwegian University of Life Sciences, Dept. of Animal and Aquacultural sciences. Jan. 14, 2005.
[B]
R. Edwood, Shell-shocked’ crabs can feel pain. Queens University, Belfast. ScienceDaily. January 16, 2013
[C] Consider the lobster, David Foster Wallace, Gourmet Magazine, août 2004.

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